{"id":693,"date":"2021-09-10T12:46:51","date_gmt":"2021-09-10T10:46:51","guid":{"rendered":"https:\/\/ragedexister.com\/?p=693"},"modified":"2021-09-14T17:47:08","modified_gmt":"2021-09-14T15:47:08","slug":"intervention-philippe-aubert-universites-dete-de-democratie-et-spiritualite-2021","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/ragedexister.com\/intervention-philippe-aubert-universites-dete-de-democratie-et-spiritualite-2021\/","title":{"rendered":"Intervention Philippe Aubert Universit\u00e9s d’\u00e9t\u00e9 de D\u00e9mocratie et Spiritualit\u00e9 2021"},"content":{"rendered":"
Lyon, le 10 septembre 2021<\/p>\n
Cher Pr\u00e9sident Daniel, merci pour l\u2019invitation et l\u2019introduction.<\/span><\/p>\n Je tiens aussi \u00e0 remercier mon amie Alice Casagrande pour son invitation \u00e0 prendre la parole et \u00e9changer avec vous !<\/span><\/p>\n Mesdames et Messieurs, je suis ravi de participer \u00e0 ce panel, d\u2019autant plus que ce th\u00e8me qui nous rassemble aujourd\u2019hui me touche particuli\u00e8rement.<\/span><\/p>\n Mon propos se situe dans une vis\u00e9e humaniste.<\/span><\/p>\n Lorsque l\u2019on me sollicite, on fait de plus en plus appel \u00e0 l\u2019intellectuel que je veux \u00eatre, qui apporte son regard singulier. Malgr\u00e9 sa lourdeur, qui le rend impossible \u00e0 ignorer, mon handicap en devient presque un \u00e9l\u00e9ment secondaire. Je m\u2019en r\u00e9jouis.<\/span><\/p>\n C\u2019est avec cette casquette de citoyen \u00e0 part enti\u00e8re, qui se trouve \u00eatre en situation de handicap, que je veux m\u2019exprimer et \u00e9changer avec vous aujourd\u2019hui.<\/span><\/p>\n Pour aborder les d\u00e9fis que je pense \u00eatre ceux de notre d\u00e9mocratie, j\u2019aimerais vous parler d\u2019un sentiment qui, je crois, anime notre d\u00e9mocratie et que je connais bien, le d\u00e9sarroi.<\/span><\/p>\n Du vieux fran\u00e7ais signifiant d\u00e9b\u00e2cle, d\u00e9sordre, d\u00e9route, d\u00e9bandade, d\u00e9labrement, d\u00e9rangement dans toutes les dimensions possibles. Que cela concerne des objets ou des pens\u00e9es.<\/span><\/p>\n Pour moi, ce terme renvoie \u00e0 une perte de sens, de rep\u00e8res, qui peut g\u00e9n\u00e9rer de la m\u00e9fiance, du repli sur soi, une peur de l\u2019avenir, voire se transformer en immobilisme et en inaction.<\/span><\/p>\n Je crois donc que ce terme de d\u00e9sarroi s\u2019applique \u00e0 notre d\u00e9mocratie aujourd\u2019hui. Parce que, vous le savez, nous traversons une crise \u00e0 la fois sanitaire, \u00e9cologique, sociale et \u00e9conomique. Parce que l\u2019action de la sph\u00e8re politique est tr\u00e8s controvers\u00e9e.<\/span><\/p>\n On pourrait alors s\u2019attendre \u00e0 un immobilisme massif, comme une r\u00e9signation. Or, je constate partout o\u00f9 se porte mon regard que ce n\u2019est pas le cas ! Les prises de conscience sont multiples, tout autant que les initiatives citoyennes cherchant \u00e0 renforcer le lien social et redonner du sens.<\/span><\/p>\n La p\u00e9riode que nous sommes en train de traverser et qui est des plus complexes, peut donc ouvrir sur de nouvelles fa\u00e7ons de penser et de vivre ensemble en soci\u00e9t\u00e9.<\/span><\/p>\n En clair, je crois que ce d\u00e9sarroi plut\u00f4t que de se limiter \u00e0 un constat d\u00e9sabus\u00e9, repr\u00e9sente une opportunit\u00e9. Une chance pour notre d\u00e9mocratie de choisir un nouveau cap. Mais cela peut et va prendre du temps, c\u2019est certain.<\/span><\/p>\n Ce que je dis \u00e0 propos de notre soci\u00e9t\u00e9 s\u2019ancre aussi dans mon exp\u00e9rience de vie. En tant que personne en situation de handicap, je suis un habitu\u00e9 du d\u00e9sarroi si je puis dire !<\/span><\/p>\n Combien de fois ma vie s\u2019est elle retrouv\u00e9e sans dessus dessous ? Combien de fois mon combat pour exister et participer \u00e0 la vie sociale s\u2019est-il sold\u00e9 par un \u00e9chec ? Je me souviens avoir \u00e9t\u00e9 tent\u00e9 par la solution de facilit\u00e9, vivre en foyer occupationnel, ne plus m’engager intellectuellement et en tant que citoyen, c\u00e9der \u00e0 la pression, rester spirituellement immobile\u2026<\/span><\/p>\n Mais c\u2019est parce que je sais qu\u2019il est possible de rebondir, de trouver une direction et un sens, que je crois dans la capacit\u00e9 de notre d\u00e9mocratie \u00e0 faire de m\u00eame !<\/span><\/p>\n Avons-nous besoin de certitudes pour vivre ?<\/span><\/p>\n Dans un de ses livres r\u00e9cents \u201c Connaissance ignorance myst\u00e8re\u201d Edgar Morin, centenaire depuis juillet dernier, esquisse la r\u00e9ponse, en nous disant que plus ses connaissances augmentent,\u00a0 plus il prend conscience de son ignorance et des limites de la connaissance humaine.<\/span><\/p>\n Le propre d\u2019une vie c\u2019est peut-\u00eatre la facult\u00e9 de se renouveler, de se m\u00e9tamorphoser. En explorant la seconde vie, Fran\u00e7ois Jullien explore peut-\u00eatre la vie humaine tout court, dans le prolongement de toute son \u0153uvre sur le vivre.<\/span><\/p>\n J\u2019esquisse peut-\u00eatre ici les termes, les \u00e9l\u00e9ments d\u2019une \u00e9thique du d\u00e9sarroi.<\/span><\/p>\n Nos soci\u00e9t\u00e9s sont le th\u00e9\u00e2tre de grandes mutations, et les gens vivent des situations qu\u2019ils ne peuvent pas analyser avec les rep\u00e8res anciens et les normes classiques. La crise du Covid 19 n\u2019est qu\u2019un exemple de ce genre de situations. L\u2019urgence climatique que nous connaissons en est un autre. Ces \u00e9v\u00e9nements agissent comme des \u00e9l\u00e9ments perturbateurs, dans un climat g\u00e9n\u00e9ral de nos soci\u00e9t\u00e9s d\u00e9mocratiques qui est pr\u00e9occupant.<\/span><\/p>\n Si les \u00e9v\u00e9nements peuvent \u00eatre une source de d\u00e9sarroi, il en va de m\u00eame pour tout le contexte dans lequel nous \u00e9voluons.<\/span><\/p>\n Je vous propose de prendre l\u2019exemple du num\u00e9rique. Ces derni\u00e8res ann\u00e9es, le monde du num\u00e9rique a connu un d\u00e9veloppement exponentiel, qui fait de l\u2019interface num\u00e9rique un \u00e9l\u00e9ment incontournable de nos soci\u00e9t\u00e9s, pour le meilleur et pour le pire.<\/span><\/p>\n Lors d\u2019un colloque sur les angles morts du num\u00e9rique au centre culturel international de Cerisy la Salle, j\u2019ai eu l\u2019occasion de m\u2019exprimer sur mon rapport aux outils du num\u00e9rique et sur mes pr\u00e9conisations, pour le handicap et pour la soci\u00e9t\u00e9 en g\u00e9n\u00e9ral. J\u2019y parle de la n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019aborder avec une saine circonspection le tout num\u00e9rique entre guillemets. Compte tenu de mes difficult\u00e9s de langage, j\u2019ai \u00e9t\u00e9 confront\u00e9 directement aux apports et aux limites de ces outils, comparativement aux rapports humains. Ces derniers tendent \u00e0 se rar\u00e9fier mais m’apparaissent plus que jamais indispensables !<\/span><\/p>\n Mais le num\u00e9rique c\u2019est aussi la prolif\u00e9ration des sources d\u2019information. Celle-ci est d\u00e9sormais extr\u00eamement facile d\u2019acc\u00e8s en ligne. On peut m\u00eame dire que nous sommes bombard\u00e9s d\u2019informations en permanence, celles-ci \u00e9tant plus ou moins pertinentes, voire plus ou moins v\u00e9ridiques. J\u2019en arrive donc \u00e0 un autre facteur de d\u00e9sarroi, la m\u00e9sinformation.<\/span><\/p>\n Dans un climat d\u2019inqui\u00e9tude et de d\u00e9fiance, les gens vont, dans leur recherche d\u2019informations, tomber de plus en plus facilement sur des apparentes v\u00e9rit\u00e9s rapides et faciles, mais fausses.<\/span><\/p>\n On peut dans ce cas aller vers des solutions de facilit\u00e9, \u00e9couter des proph\u00e8tes tentateurs.<\/span><\/p>\n Je veux faire ici un lien avec le concept de civilisation du poisson rouge d\u00e9velopp\u00e9 dans le livre \u00e9ponyme de Bruno Patino. Notre attention est capt\u00e9e en permanence et nous perdons notre capacit\u00e9 \u00e0 d\u00e9velopper un esprit critique.<\/span><\/p>\n Dans un monde dans lequel notre attention est de plus en plus sollicit\u00e9e, les ing\u00e9nieurs de chez Google ont constat\u00e9 que notre capacit\u00e9 d\u2019attention, depuis le raz de mar\u00e9e num\u00e9rique chez les nouvelles g\u00e9n\u00e9rations, a \u00e9t\u00e9 drastiquement r\u00e9duite.<\/span><\/p>\n Maintenant que j\u2019ai peint un tableau alarmiste de la nouvelle g\u00e9n\u00e9ration, laissez-moi nuancer mon propos !<\/span><\/p>\n On id\u00e9alise souvent le pass\u00e9 comme \u00e9tant mieux. Le philosophe Michel Serres en avait fait son sujet de livre en 2017 et en tordant le cou aux nostalgiques d\u2019un temps ancien meilleur que maintenant, alors que beaucoup de crit\u00e8res font \u00e9tat de l\u2019inverse. Ce sentiment de morosit\u00e9 est mortif\u00e8re, n\u2019appelle pas \u00e0 la vie, au renouveau. Je ne tombe pas dans l\u2019\u00e9cueil \u00e9vident du \u201cplus c\u2019est nouveau ou neuf, meilleur c\u2019est\u201d ou bien d\u2019un jeunisme du progr\u00e8s absolu. Puisque la mort fait partie de la vie et vice-versa. Je ne veux pas non plus tout mettre sur le dos des jeunes comme \u00e9tant de leur faute si le monde va mal !<\/span><\/p>\n Le proverbe de Saint Exup\u00e9ry que j\u2019aime citer dit que l\u2019on n\u2019h\u00e9rite pas de la plan\u00e8te Terre, mais qu\u2019on l\u2019emprunte \u00e0 nos enfants !<\/span><\/p>\n En faisant le constat des choses qui ne vont pas, des probl\u00e8mes de notre temps, de ce qui aurait pu ou aurait d\u00fb \u00eatre diff\u00e9rent, mieux fait, pens\u00e9, envisag\u00e9, r\u00e9alis\u00e9, on peut se dire que la d\u00e9mocratie comme on la connaissait est morte !<\/span><\/p>\n Mais il est fascinant aussi de voir le r\u00e9veil des consciences parmi les jeunes de maintenant et les jeunes depuis plus longtemps que les pratiques doivent \u00e9voluer, que les mentalit\u00e9s doivent faire un pas en avant, un pas de c\u00f4t\u00e9 ou un pas en arri\u00e8re, si l\u2019on veut non seulement ne pas r\u00e9p\u00e9ter les erreurs pass\u00e9es mais \u00e9galement \u00e9viter celles \u00e0 venir.<\/span><\/p>\n Le meilleur moyen pour cela est de r\u00e9veiller la soci\u00e9t\u00e9 et de cultiver l\u2019esprit critique ! On peut appeler \u00e0 la conscience et \u00e0 des valeurs, en somme \u00e0 la spiritualit\u00e9. Cette spiritualit\u00e9 doit aussi \u00eatre abord\u00e9e avec circonspection, j\u2019y reviendrai\u2026<\/span><\/p>\n J\u2019aimerais aborder maintenant le th\u00e8me de la justice sociale et territoriale, qui fait aussi l\u2019objet de cette table ronde. Sur cette question, je crois avoir de nouveau un regard particulier. Par exemple, je vois en direct les fortes disparit\u00e9s dans la gestion des droits et des aides des personnes en situation de handicap en fonction des r\u00e9gions et m\u00eame des d\u00e9partements. J\u2019ai bien conscience qu\u2019il s\u2019agit d\u2019un sujet qui pourrait presque passer pour anecdotique, si seulement il n\u2019impactait pas directement plusieurs millions de fran\u00e7ais en situation de handicap permanent ou temporaire, dans toutes les situations de leur vie quotidienne, qu\u2019elles soient personnelles ou professionnelles !<\/span><\/p>\n L\u2019injustice sociale et territoriale est criante dans le Monde et en France dans ses diff\u00e9rentes conceptions : lib\u00e9ralistes, \u00e9galitaristes, utilitaristes.<\/span><\/p>\n Ses d\u00e9rives proc\u00e8dent de choix politiques peu d\u00e9mocratiques et renvoient \u00e0 de tr\u00e8s nombreuses in\u00e9galit\u00e9s, voire \u00e0 de la s\u00e9gr\u00e9gation sociale.<\/span><\/p>\n Cela d\u00e9chire donc le contrat social, ainsi que le concept d\u2019\u00e9galit\u00e9 r\u00e9publicaine qui nous est ch\u00e8re en France, et invite \u00e0 une fracture de classes, entre riches et pauvres. Qui si arros\u00e9e de populisme entra\u00eene une division, un repli, de l\u2019entre-soi et de la peur, donc moins de fraternit\u00e9. In fine donc, \u00e0 une soci\u00e9t\u00e9 d\u00e9cousue, d\u00e9sunie, en proie aux extr\u00eames et au d\u00e9sarroi.<\/span><\/p>\n Pour prendre le contrepied de cette r\u00e9alit\u00e9, qui n\u2019est pas seulement une question de handicap, le professeur Michel Borgetto affirme que l’id\u00e9e de fraternit\u00e9 est plus que jamais actuelle et indispensable pour recr\u00e9er le lien social, respecter la dignit\u00e9 de l’individu, rendre plus humaine la relation entre l’administration et la personne aid\u00e9e, en d\u00e9finitive r\u00e9concilier la soci\u00e9t\u00e9 avec elle-m\u00eame.<\/span><\/p>\n Dans une p\u00e9riode de d\u00e9sordre, de confusion soci\u00e9tale, je vois une opportunit\u00e9 individuelle et collective de r\u00e9v\u00e9ler le meilleur. On a souvent le st\u00e9r\u00e9otype que le pire arrive en cas de catastrophe, mais si l\u2019on prend les attentats r\u00e9cents comme l\u2019Hypercasher, ou bien les cas h\u00e9ro\u00efques de sauvetage d\u2019enfants, de familles, de femmes lors d\u2019incendies ou d\u2019agressions, le meilleur aussi \u00e9merge de la nature humaine et des gestes de bravoure, d\u2019humanit\u00e9.<\/span><\/p>\n Est-ce que dans ce cadre il est pertinent de parler de d\u00e9sarroi ?<\/span><\/p>\n Dans son dernier livre, Pierre Rosanvallon, renouvelle la compr\u00e9hension des crises politiques et sociales en analysant les \u00e9preuves de la vie des fran\u00e7ais, titre de son ouvrage.<\/span><\/p>\n Mais je crois qu\u2019il faut aller plus loin. Les probl\u00e8mes g\u00e9n\u00e8rent du d\u00e9sarroi. Celui-ci permet de faire le lien entre l\u2019exp\u00e9rience de vie et la conscience que l\u2019on a de cette exp\u00e9rience en qu\u00eate de sens.<\/span><\/p>\n Frottons nous maintenant \u00e0 un autre sujet de taille, si vous le voulez bien. La crise climatique, la transition \u00e9cologique et environnementale.<\/span><\/p>\n Si l\u2019on effectue une bonne transition \u00e9cologique, il semble \u00eatre envisageable d\u2019\u00e9viter une crise climatique plus importante. Au vu du rapport du GIEC r\u00e9cent, nous ne sommes pas en mesure d\u2019atteindre nos objectifs.<\/span><\/p>\n Interrog\u00e9 sur la possibilit\u00e9 d\u2019\u00e9viter le mur, Patrick Viveret r\u00e9pondait par la question de savoir si l\u2019on ne l\u2019avait pas d\u00e9j\u00e0 d\u00e9pass\u00e9.<\/span><\/p>\n Dans ce sens, cela nous place de force dans un d\u00e9sarroi et nous appelle par la m\u00eame occasion \u00e0 de l\u2019optimisme. On ne peut pas faire pire ! Nous sommes donc invit\u00e9s \u00e0 une reconnexion avec le Vivant, les Communs et ce qui fonde du sens en proximit\u00e9 avec la Terre. La Terre est par excellence l\u2019\u00e9l\u00e9ment commun de l\u2019humanit\u00e9, et donc le terreau fertile pour nous rassembler.<\/span><\/p>\n J\u2019ai parl\u00e9 tr\u00e8s rapidement de fraternit\u00e9, je crois qu\u2019elle a toute sa place dans les questions \u00e9cologiques.<\/span><\/p>\n Charles Gonthier a \u00e9crit que \u201cc’est sur la fraternit\u00e9 des hommes \u00e0 l’\u00e9chelle mondiale et dans sa dimension interg\u00e9n\u00e9rationnelle que repose l’imp\u00e9ratif de la protection de l’environnement. Droit fondamental dit de la 3\u00e8me g\u00e9n\u00e9ration, le droit de l’environnement, disait-il, est un de ceux qui impose \u00e0 l’homme de d\u00e9passer son \u00e9go\u00efsme et de se tourner vers l’esprit de partage. Ne pas polluer l’espace des autres pays, respecter la biosph\u00e8re comme un bien commun des hommes et laisser un environnement viable aux g\u00e9n\u00e9rations futures est un devoir de fraternit\u00e9.\u201d<\/span><\/p>\n Ainsi, je me sens li\u00e9 avec les autres humains, et plus largement les autres vivants : roches, for\u00eats, plantes, eau. A la biodiversit\u00e9 en somme !<\/span><\/p>\n Maintenant, je me demande et je nous demande, comment concevoir la place et le r\u00f4le de la spiritualit\u00e9 dans ces questions essentielles pour notre d\u00e9mocratie.<\/span><\/p>\n Pour ma part, je pense la spiritualit\u00e9 dans deux dimensions. Je pense \u00e0 la spiritualit\u00e9 religieuse, bien s\u00fbr, mais aussi simplement \u00e0 la mobilisation de la conscience individuelle et collective. A titre personnel, ma spiritualit\u00e9 religieuse prend racine dans une relation aux autres. Je crois profond\u00e9ment que la religion chr\u00e9tienne est une religion de l\u2019Homme et non du livre. Le message que je retiens, c\u2019est aime ton prochain comme toi-m\u00eame, aimez-vous les uns les autres.<\/span><\/p>\n Je crois que cette premi\u00e8re moiti\u00e9 du 21\u00e8me si\u00e8cle sera le tournant in\u00e9vitable en termes d’\u00e9cologie, de transformations sociales et soci\u00e9tales. Tiss\u00e9 des liens, des relations est pour moi signe d’aimer la vie.<\/span><\/p>\n Face aux enjeux climatiques et soci\u00e9taux, unir nos forces pour construire une soci\u00e9t\u00e9 plus juste et humaniste est un grand pas pour pouvoir coexister tous ensemble.<\/span> Pour r<\/span>emettre l\u2019\u00eatre humain au centre, au c\u0153ur de la vie.<\/span><\/p>\n Pour \u00eatre honn\u00eate, je crois donc plut\u00f4t en l’homme avec un h majuscule et \u00e0 nos intelligences collectives pour nous faire progresser et faire \u00e9voluer le monde. Croire en des valeurs qui nous rassemblent, nous humanisent me rassure.<\/span><\/p>\n Pour moi, croire en la vie ou en Dieu, c’est faire des choses ensemble. Vivre ensemble. Pour moi, la vie, c’est les autres !<\/span><\/p>\n Le r\u00e9enchantement de notre soci\u00e9t\u00e9 est au c\u0153ur de mes pr\u00e9occupations. Je ne serai jamais p\u00e8re moi-m\u00eame ; par contre, je suis un oncle attentif au d\u00e9veloppement du futur dans lequel grandiront les enfants de ma famille. Oui, les temps actuels sont difficiles, incertains, mais je ne peux me r\u00e9signer \u00e0 leur imposer cette morosit\u00e9, cet \u00e9tat d\u2019esprit n\u00e9gatif et un poids moral sur les \u00e9paules. J\u2019appelle de tous mes v\u0153ux \u00e0 ce que la joie, le bonheur, l\u2019amour soient les valeurs universelles de notre soci\u00e9t\u00e9 avec lesquelles nous sortirons de la crise COVID. Je reconnais \u00eatre peut-\u00eatre utopiste \u00e0 ce sujet, mais qu\u2019importe !<\/span><\/p>\n Il me semble que la fraternit\u00e9 peut \u00eatre, encore une fois et comme elle l\u2019a \u00e9t\u00e9 envisag\u00e9e lors de la mise en place de la premi\u00e8re r\u00e9publique, le ciment de notre action en tant que soci\u00e9t\u00e9 d\u00e9mocratique.<\/span><\/p>\n La libert\u00e9 est aujourd\u2019hui port\u00e9e aux nues, la valeur r\u00e9publicaine par excellence. Pourtant, c\u2019est la fraternit\u00e9 qui, dans les grands moments de l\u2019histoire, a jou\u00e9 un r\u00f4le subversif essentiel ! L\u2019abolition d\u2019une soci\u00e9t\u00e9 profond\u00e9ment in\u00e9galitaire pour l\u2019\u00e9mergence d\u2019une r\u00e9publique, l\u2019abolition de l\u2019esclavage, la d\u00e9colonisation, et d\u2019autres… Je rejoins une nouvelle fois la r\u00e9flexion de Charles Doherty Gonthier, comment\u00e9e par Guy Canivet. A nouveau, la fraternit\u00e9 peut \u00eatre le moteur du changement de notre monde pour le meilleur.<\/span><\/p>\n J\u2019ai d\u2019ailleurs, lors de la deuxi\u00e8me \u00e9dition de la Nuit du Handicap, et pour contribuer \u00e0 changer la conscience du handicap dans notre soci\u00e9t\u00e9, propos\u00e9 le slogan \u201cOsons la fraternit\u00e9 heureuse !\u201d<\/span><\/p>\n En lien avec la fraternit\u00e9, le mot d\u00e9sarroi a donc des sens paradoxaux. On peut \u00eatre atterr\u00e9, ou bien rebondir et \u00eatre dans la r\u00e9silience. C\u2019est le d\u00e9passement de cette situation paradoxale qui permet d\u2019affirmer \u00eatre dans la r\u00e9silience. Le d\u00e9sarroi, c\u2019est sortir de la tradition, de la voie classique. Mais c\u2019est aussi potentiellement sortir de l\u2019orni\u00e8re dans laquelle nous sommes embourb\u00e9s.<\/span><\/p>\n On peut \u00eatre d\u00e9sar\u00e7onn\u00e9, je n\u2019y vois pas n\u00e9cessairement un mal en soi, et je crois que c\u2019est notre cas en tant que soci\u00e9t\u00e9 autant qu\u2019\u00e0 titre individuel face \u00e0 toutes ces probl\u00e9matiques ! Tout d\u00e9pend ensuite de ce que l\u2019on fait une fois d\u00e9sar\u00e7onn\u00e9.<\/span><\/p>\n Le d\u00e9sarroi c\u2019est enfin le t\u00e9moin d\u2019un grand danger et d\u2019une situation extr\u00eamement pr\u00e9occupante. J\u2019ai peur de ce qui s\u2019annonce, mais je me mobilise plut\u00f4t que de choisir l\u2019immobilisme.<\/span><\/p>\n Au d\u00e9but des ann\u00e9es 2000, des repr\u00e9sentations communes \u00e0 plusieurs sous-groupes et cr\u00e9ateurs identifi\u00e9s d’une nouvelle culture en Occident, ont \u00e9t\u00e9 appel\u00e9s les ” Cr\u00e9atifs Culturels “. Qui repr\u00e9sentent 24% de la population et sont en rapide croissance.<\/span><\/p>\n Prenant ses distances vis-\u00e0-vis de la soci\u00e9t\u00e9 de consommation et de la technologie \u00e9rig\u00e9e en mythe, cette population cultive une sensibilit\u00e9 r\u00e9solument nouvelle et coh\u00e9rente jusque dans ses comportements quotidiens : notre soci\u00e9t\u00e9 est sur le point d’\u00e9crire une nouvelle page de son histoire. Les Cr\u00e9atifs Culturels conjuguent avec bonheur l’\u00e9cologie, l’alimentation biologique, le d\u00e9veloppement personnel, les m\u00e9decines douces, avec l’implication sociale, souvent locale, les valeurs f\u00e9ministes et une dimension spirituelle. Ils sont au c\u0153ur d’une transformation active de la soci\u00e9t\u00e9 dans un sens plus humain.<\/span><\/p>\n Ne sommes-nous\u00a0 pas confront\u00e9s \u00e0 une nouvelle g\u00e9n\u00e9ration de cr\u00e9atifs culturels, plus apte \u00e0 se saisir des enjeux de l\u2019\u00e9norme m\u00e9tamorphose que nous vivons, en assumant leur d\u00e9sarroi ?<\/span><\/p>\n Cette g\u00e9n\u00e9ration ne nous montre-t-elle pas la voie de sortie de la crise de la joie que Pierre Giorgini, ancien Pr\u00e9sident-Recteur de l\u2019Universit\u00e9 Catholique de Lille, nous d\u00e9crit dans un de ses derniers livres.<\/span><\/p>\n Dans cette optique, je me dois de citer Alain Damasio qui affirme que l\u2019on ne retrouvera l’envie de vivre qu’en renouant les liens au vivant, ainsi que Corine Pelluchon qui parle de vuln\u00e9rabilit\u00e9, engage \u00e0 d\u00e9velopper les valeurs qui g\u00e9n\u00e8re une meilleure \u00e9thique et des pratiques de vie collective. Nous ne pourrons pas changer les comportements sans changer les valeurs collectives.<\/span><\/p>\n Il y a moins de cinq ans, l\u2019entreprise sociale MakeSense a initi\u00e9 une communaut\u00e9 virtuelle qui se surnomme les Paum\u00e9Es. Chaque jour, des personnes de toutes les cat\u00e9gories sociales, de tous les \u00e2ges, de toutes les origines, de toutes les professions y partagent leurs vies, leurs parcours scolaires et professionnels. Mais surtout y t\u00e9moignent de leurs gal\u00e8res, leurs doutes mais aussi leurs rebondissements apr\u00e8s des carri\u00e8res courtes ou longues, et leurs qu\u00eates de sens vis-\u00e0-vis de leurs emplois. Il est \u00e0 noter que l\u00e0 o\u00f9 les carri\u00e8res longues \u00e9taient la norme pr\u00e9c\u00e9demment, il est extr\u00eamement rare aujourd\u2019hui de faire carri\u00e8re dans une seule et m\u00eame entreprise, publique ou priv\u00e9e. Le souhait d\u2019avoir une vie align\u00e9e entre ambition, savoir-faire, comp\u00e9tences est contrari\u00e9 par le d\u00e9sir d\u2019\u00e9panouissement et de sens. On vient et reste au travail \u00e0 la condition que celui-ci rentre dans une perspective plus grande de vie coh\u00e9rente. On n\u2019h\u00e9site plus \u00e0 quitter un CDI bien pay\u00e9, \u00e0 d\u00e9m\u00e9nager pour se rapprocher de lieux o\u00f9 vie priv\u00e9e et professionnelle sont mieux articul\u00e9es. La dynamique actuelle des Tiers-lieux en rend compte.<\/span><\/p>\n Jean Baptiste de Foucauld, ancien Pr\u00e9sident de votre association, que je tiens en tr\u00e8s haute estime et que je connais bien par ailleurs via les amiti\u00e9s qui me lie au Centre Culturel international de Cerisy-la-Salle, \u00e9voquait en 2010 \u201cL’Abondance frugale\u201d. Il y listait les cinq crises que traversait alors et traverse peut-\u00eatre encore la soci\u00e9t\u00e9 fran\u00e7aise et occidentale en g\u00e9n\u00e9ral (\u00e9conomique, financi\u00e8re, \u00e9cologique, sociale et de perte de sens) avant d’affirmer qu’il fallait une solidarit\u00e9 d’un nouveau type pour en sortir.<\/span><\/p>\n Aux c\u00f4t\u00e9s de Denis Piveteau, d\u00e8s 1995, Jean-Baptiste \u00e9crivait \u201cUne soci\u00e9t\u00e9 en qu\u00eate de sens\u201d \u00e9galement chez Odile Jacob avec comme c\u0153ur de message qu\u2019aucun projet politique ne peut se borner \u00e0 des mesures purement techniques. Il faut que la soci\u00e9t\u00e9 s’anime par davantage de coop\u00e9ration, plus d’initiative.<\/span><\/p>\n En parlant de coop\u00e9ration et d\u2019initiatives, le handicap \u00e0 encore une fois son r\u00f4le \u00e0 jouer.<\/span> Dans les formations que je dispense, je parle souvent de la notion de pouvoir d\u2019agir en lien avec le handicap. Je repr\u00e9sente une g\u00e9n\u00e9ration que j\u2019appelle “Vestiaires”, en r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 la s\u00e9rie t\u00e9l\u00e9vis\u00e9e du m\u00eame nom. Cette g\u00e9n\u00e9ration ne se d\u00e9finit plus par les\u00a0 limitations du handicap, mais bien par sa volont\u00e9 et son pouvoir d\u2019agir et de participer \u00e0 la vie de la soci\u00e9t\u00e9, \u00e0 la construction de notre avenir commun. Ce sont des individus qui veulent que soient reconnues ce que Amartya SEN, prix nobel d\u2019\u00e9conomie, appelle les capabilit\u00e9s.<\/span><\/p>\n Il ne s\u2019agit plus alors de concevoir et penser pour les personnes en situation de handicap mais bien avec elles, en passant directement par elles !<\/span><\/p>\n Et pour relever les d\u00e9fis de notre d\u00e9mocratie, quoi de mieux que de faire appel aux sp\u00e9cialistes du d\u00e9sarroi que sont les personnes en situation de handicap ?<\/span><\/p>\n Je remercie mon \u00e9quipe d\u2019assistants, Christophe Cadiou, membre stagiaire du Conseil d\u2019Administration de D\u00e9mocratie et Spiritualit\u00e9, qui n\u2019a pas pu se joindre \u00e0 nous ce week-end, et Sylvain Valois qui est \u00e0 mes c\u00f4t\u00e9s ce matin, pour le formidable travail de pr\u00e9paration de cette intervention.<\/span><\/p>\n Mesdames Amara et Bernardon, je vous laisse la parole et suis ravi de partager la sc\u00e8ne avec vous.<\/span><\/p>\n Je suis enthousiaste d\u2019entendre vos propos et d\u2019engager une discussion ensemble.<\/span><\/p>\n Je r\u00e9pondrai avec plaisir \u00e0 l\u2019ensemble des questions lors du temps d\u00e9di\u00e9.<\/span><\/p>\n Je reste \u00e9videmment disponible pour \u00e9changer \u00e9galement durant l\u2019ensemble des Universit\u00e9s d\u2019\u00e9t\u00e9 de D\u00e9mocratie & Spiritualit\u00e9<\/a>.<\/span><\/p>\n Je vous remercie pour votre \u00e9coute.<\/span><\/p>\n Philippe Aubert<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Lyon, le 10 septembre 2021 Cher Pr\u00e9sident Daniel, merci pour l\u2019invitation et l\u2019introduction. Je tiens aussi \u00e0 remercier mon amie Alice Casagrande pour son invitation \u00e0 prendre la parole et \u00e9changer avec vous ! Mesdames et Messieurs, je suis ravi de participer \u00e0 ce panel, d\u2019autant plus que ce th\u00e8me qui nous rassemble aujourd\u2019hui me …<\/p>\n