Intervention de Philippe Aubert au Comité Interministériel du Handicap 5 juillet 2021

Paris, le 5 juillet 2021

Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Madame la Ministre, Chère Sophie Cluzel,

Je suis très honoré de pouvoir m’exprimer de nouveau devant vous lors d’un conseil interministériel
du handicap.

Je concentrerai mon propos aujourd’hui sur l’autonomie.

Je considère que c’est un débat central, voire crucial pour les personnes en situation de
handicap, mais aussi pour toute personne, de tout âge ; cela nous concerne toutes et tous.

J’ai proposé d’engager en priorité sur ce sujet, les travaux du nouveau Conseil interne du CNCPH sur
les questions sémantiques, sociologiques et éthiques.

Nos travaux commencent à peine, et nous avons pour objectif d’en rendre compte au CNCPH pour la
fin de l’année.

Je souhaite néanmoins exposer quelques points essentiels qui ont émergé à partir de nos premiers
débats et discussions particulières.

L’autonomie n’a pas forcément bonne presse chez les personnes en situation de handicap.

Moi-même j’ai expérimenté les limites d’une certaine utilisation de cette notion.

On a en effet tenté de conditionner la poursuite de mes études supérieures à l’acquisition d’une
autonomie d’action. Lorsque l’on connaît ma dépendance physique, cette injonction pourrait
presque faire rire !

Ainsi, en tant que société, dans nos réflexions actuelles autant que dans nos actions, il convient
d’être collectivement attentifs à la relation entre autonomie et dépendance.

On peut en effet être dépendant et autonome. C’est donc une notion dont l’usage doit être fait avec
circonspection.

Le gouvernement, Monsieur le Premier Ministre, a décidé de lancer un Programme prioritaire de
Recherche sur l’autonomie.

C’est un grand acte politique à mes yeux et nous devons nous y impliquer fortement.

Un des rôles de notre Conseil interne sera de veiller à l’active participation des personnes en
situation de handicap à ce programme, et à l’orientation des recherches vers des processus créatifs
et opérationnels.

Je voudrais exprimer en quelques mots mes convictions sur ce sujet de l’autonomie.

Je crois profondément que le monde du handicap ne doit jamais s’isoler et se concevoir comme un
monde à part. Je défendrai toujours une vision commune de la société et un refus d’appartenances
exclusives.

Une des façons essentielles d’assurer cette vision commune est de reconnaitre les personnes en
situation de handicap pour leurs capacités et non à partir de leurs incapacités.

J’ai développé ce point de vue au cours du précédent conseil interministériel du handicap le 16
novembre dernier, en qualifiant les personnes en situation de handicap de « bricoleurs de génie de la
vie ».

Ce n’était pas une envolée lyrique, mais une façon d’attirer l’attention sur une face encore trop peu
mise en avant de l’approche du handicap.

Je partirai donc de ce point de vue.

Il n’y a pas d’autonomie sans un sujet. Ce sujet c’est l’individu, la personne singulière.

Chacun est unique, et chacun a besoin d’un processus d’individuation et de socialisation pour exister
; et ce à tout âge, tout au long de sa vie.

L’autonomie est une réalité d’interdépendance et de liens avec les autres.

Selon Paul Ricoeur, être autonome c’est être identifié par soi et par les autres comme un sujet
décideur de ses propres actes. C’est aussi avoir confiance dans sa propre capacité à être cet acteur,
ce sujet, cet auteur.

L’autonomie d’action et de décision est alors au cœur d’un processus et d’un écosystème
d’identification et d’autodétermination, qui s’inscrivent dans l’histoire et le développement de
chacun d’entre nous, personne dite valide autant que personne en situation de handicap.

Mais, comment s’inscrire positivement dans ce processus si on est à priori, du fait de son handicap,
présumé incapable et donc irresponsable. Comment dans ces conditions attester de son potentiel ?

Toute personne en situation de handicap ; quel que soit ce handicap ; visible ou non, connait cette
épuisante injonction d’être soi et de croire en soi, malgré l’opinion dévalorisante ou agressive des
autres.

C’est une charge psychique énorme ; stérilisante et destructrice. Elle rend souvent difficile, ou même
impossible, inaudible, la construction et l’expression de sa joie et de sa force de vivre.

C’est pourquoi, nous devons orienter nos réflexions vers la prise en considération de tous les travaux
récents sur les processus d’apprentissage de l’autodétermination.

Cette notion d’autodétermination est sans doute essentielle dans une approche positive de
l’autonomie pour les personnes en situation en handicap car elle les repositionne comme sujet
majeur de leur pouvoir d’agir.

Laissons-nous gagner un instant par son souffle émancipateur !

Notre travail, au sein du conseil que je préside, consiste à bien détecter les obstacles, notamment
sémantiques, sociologiques et éthiques, qui peuvent entraver cette application de
l’autodétermination au handicap ; mais aussi à examiner tous les processus inspirant des pratiques
nouvelles et innovantes.

J’ai conscience que s’ouvre là un énorme champ qui propulse sur le devant de la scène le rôle direct
et majeur des personnes en situation de handicap elles-mêmes, mais interroge aussi toute la chaîne
des attitudes et des savoirs des accompagnants, famille, associations, professionnels, institutions…
ainsi que les moyens techniques et les technosciences utilisables.

En conclusion de ce propos trop rapide, j’ai conscience aussi que parler de l’autonomie en ces termes, c’est ouvrir un espace de création et d’innovation, encore très insuffisamment exploré.

Le survol que je viens d’effectuer incite à travailler en ne limitant pas ses ambitions.

C’est peut-être un élément clé d’un projet de société et un moyen de combattre la conscience
malheureuse, culpabilisée et culpabilisante qui pèse lourdement sur le monde du handicap.

Je vous remercie.

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